Par Jean-Francis Pécresse
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Autant il est souhaitable de faire payer Amazon, autant il est dangereux d’affecter la compétitivité de nos multinationales qui créent de l’emploi partout dans le monde.
L’enfer fiscal est pavé de bonnes intentions. C’est ce que montre – à l’échelle, cette fois, de la planète et plus seulement d’une nation – l’accord sur une taxation minimale des bénéfices intervenu entre 130 pays de l’OCDE. À quelques jours de sa présentation au G20, sommet susceptible de marquer une étape décisive vers une entrée en vigueur de cette réforme en 2023, ses lourdes conséquences sur la compétitivité des grandes entreprises devrait alerter dirigeants français et européens.
Éliminer les derniers – et rares – vrais paradis fiscaux comme La Barbade, parvenir enfin à faire payer Amazon – qui joue ouvertement avec les failles des systèmes fiscaux – sur ses profits dans le Cloud, lesquels lui permettent de faire du dumping commercial partout ailleurs : ces causes-là, oui, méritaient bien, au prix d’une longue négociation, une union sacrée de l’OCDE. Mais il n’était nulle besoin d’aller au-delà, de s’engager dans le processus hasardeux d’une régulation fiscale mondiale dont l’on devine déjà qui, à la fin des fins, en tirera les ficelles, transformant cette transparence universelle obligé en privilège d’extraterritorialité : les États-Unis d’Amérique !
Parce que des économies prétendument libérales sont désormais incapable de considérer qu’un impôt effectif de 15 % soit autre chose qu’un minimum (et qu’un taux, certes assez facial, de 12,5 % relève de la concurrence déloyale), elles sont prêtes, faute de pouvoir baisser leurs propres prélèvements, à sacrifier une souveraineté qui ne devrait jamais être laissée à d’autres qu’au parlement. C’est la revanche ou plutôt la défaite des mauvais élèves.
Et la France risque de le payer cher en perte d’attractivité lorsqu’elle devra aller plaider devant ses grands compétiteurs le maintien de son si précieux crédit d’impôt recherche… C’est une question de principe, c’en est une, aussi, de complexité. Pour les groupes visés par ce projet, se plier aux normes de l’OCDE, puis laisser – car ce sera inévitable – des administrations étrangères mettre leur nez sur le résultat les activités opérées dans leur pays, voilà une perspective qui peut inquiéter.
Le risque, en vérité, est que cette réforme débouche sur une incroyable complexité fiscale et les pays développés ne seront pas les seuls en pâtir. Des multinationales aujourd’hui capables de créer de nombreux emplois dans des économies émergentes, où elles sont attirées justement par une fiscalité incitative sur leurs bénéfices, auront moins d’intérêt à s’y implanter et à s’y développer du moment où elles devront acquitter le différentiel d’impôts.
La régulation ne devrait jamais tuer la concurrence loyale. C’est vrai aussi en matière fiscale.
Jean-Francis Pécresse est directeur de la rédaction des Echos Week-end et éditorialiste aux Echos.